domingo, 6 de julio de 2025

Céline Bécaud

 ... "elle s'appelait Nathalie..."  



 

Avant la Nathalie de Gilbert Bécaud, il y a eu celle de Louis-Ferdinand Céline.  Mais... Céline en URSS? Autant envoyer un Polaris, non? Pour l'été 1936, entre l'Espagne en guerre à feu et à sang, et la Russie sous Staline, il n'y avait que l'embarras du choix, si on voulait faire un voyage au fond de la nuit et de la mort à crédit. Céline a choisi l'URSS, c'était plus fashion entre les écrivains. Il y a apprécié les extrémités et les contradictions, c'est son genre après tout, les palais à échelle de géants, la grâce aérienne des ballerines du ballet russe, et les scolopendres du nouveau régime. Voici la fin de l'été 1936 selon la Vie de Céline de Frédéric Vitoux...

 

Ah! ces fameux voyages en Russie!... Au cours des années vingt, des années trente, ils étaient en passe de devenir l'exercice obligé pour tout intellectuel digne de ce nom. Il fallait s'être rendu au moins une fois sur place pour découvrir cette grande lueur encore énigmatique, ce grand espoir ou cette grande peur venus de l'Est, pour prendre la mesure d'un monde nouveau sinon d'un homme nouveau, pour visiter les réalisations du régime et témoigner de ce que l'on avait vu. Le même prénomène se reproduira pour la Chine maoïste à la fin des années soixante, et sur la foi d'une semaine ou deux d'un séjour très organisé, écrivains et hommes politiques livreront avec une parfaite tranquillité d'âme leurs jugements et leurs points de vue aussi aveugles que péremptoires. 

En Russie donc il y avait eu Romain Rolland et Henri Béraud, Georges Duhamel et Henri Barbusse parmi les premiers à accepter l'invitation du gouvernement soviétique. Puis ce fut le tour de Malraux  et de Marc Chadourne, de Roland Dorgelès et d'André Chamson. Pour les Russes, le risque était bien sûr de décevoir leurs invités, mais il fallait bien tenter sa chance dans ces grandes et nouvelles "relations publiques" de l'intelligentsia et de la propagande. Accompagné de Louis Guilloux et d'Eugène Dabit, André Gide partit à son tour le 17 juin 1936. à soixante-dix ans, Gide avait l'ardeur d'un néophyte. Lui l'écrivain bourgeois attiré peu à peu vers un engagement politique plus précis s'était retrouvé depuis quelques années entraîné de congrés en meetings, de conférences en pétitions. Il s'écriait alors avec une belle emphase: "S'il fallait donner ma vie pour assurer le succès de l'U.R.S.S., je la donnerai aussitôt." C'est dire si les Soviets l'accueillirent avec les honneurs, affrétant pour lui et ses compagnons un wagon spécial, organisant réceptions et visites protocolaires. Mais ils avaient oublié que Gide l'écrivain sympathisant de la gauche aux engagements généreux était d'abord un intellectuel avant d'être un homme de parti, un solitaire qui ne priviégiait rien tant que l'indépendance d'esprit nécessaire à l'écrivain, c'est à dire quelqu'un qui faisait passer la recherche de la vérité avant toute autre valeur et qui ne pouvait témoigner que de ce qu'il voyait. Après être revenu de Russie le 22 août, Gide publia donc son fameux et courageux Retour de l'URSS qui souleva la colère des écrivains de gauche. Gide torturé et amer ne ouvait se taire, malgré toutes les prudences et les précautions stylistiques dont il d'entoura. Romain Rolland et les autres l'accusèrent de double jeu. Tant pis!

Céline, lui, on ne l'attendait pas avec des honneurs, des bouquets de fleurs et des wagons spéciaux. À vrai dire, on ne l'attendait pas du tout. Il voyagea seul. Il ne souhaitait rien d'autre. Lucette Almansor qui ne vivait pas encore avec lui rue Lepic mais dont la présence lui devenait chaque jour plus indispensable, songea à l'accompagner. Louis le lui avait proposé et elle se réjouissait à l'idée de découvrir Leningrad, le Palais d'Hiver et surtout les ballets de la grande école de danse russe. Malheureusement ils n'étaient pas mariés. Impossible de retenir une seule chambre à l'hôtel. Le système soviétique ne badinait pas avec la morale ou avec ses apparences. Face aux obstacles administratifs qui s'accumulèrent, visas et autres, Lucette dut renoncer à son voyage. Louis s'embarqua seul à bord du S.S. Polaris à destination d'Helsinki puis de Leningrad.

Plus tard, à son retour d'U.R.S.S., quand il publiera Mea culpa, un journaliste imprudent le traitera de renégat. L'outrage fera bondir Céline et lui inspirera quelques pages très violentes dans Bagatelles pour un massacre. Il aura beau jeu de rappeler alors son absence totale d'engagement, il insistera sur le fait qu'il avait réglé lui-même toutes les dépenses de son voyage.

"Je suis pas allé moi en Russie aux frais de la princesse!... C'est à dire ministre, envoyé, pèlerin, cabot, critique d'art, j'ai tout payé de mes clous... de mon petit pognon bien gagné, intégralement: hôtel, taxis, voyage, interprète, popote, boustif... Tout!... J'ai deénsé une fortune en roubles... pour tout voir à mon aise... J'ai pas hésité devant la dépense... Et puis ce sont les Soviets qui me doivent encore du pognon... Qu'on se le dise!... Si cela intéresse des gens. Je leur dois pas un fifrelin!... pas une grâce! pas un café-crème!..."

À bord du Polaris, Céline écrivit une lettre à Cillie, mariée et qui attendat à cette époque un enfant. Il lui donna des nouvelles de Lucienne Delforge qu'il n'avait plus revue et qui devait être amoureuse d'un journaliste. "À propos j'ai eu bien du mal avec 'Mort à Crédit'. Presque toute la critique contre moi, et avec quelle virulence! Ila ne l'ont même pas lu. Ce qu'ils pensent m'est bien égal mais l'effet sur la vente a été déplorable. J'en vendra à peine 40 000 — et il m'avait donné un mal inouï! Bien pire que le 'Voyage'! Mais tout ceci est futile. Je ne suis pas très bien. J'ai été bien épuisé après ce terrible livre. Je vais à Moscou chercher un peu d'argent si possible." 

Alla-t-il vraiment à Moscou? C'est peu probable. Les rares témoignages et les documents dont nous disposons à propos de son voyage en Russie, en particulier les pages qu'il lui consacra dans Bagatelles, ne font allusion qu'à son séjour à Leningrad. Très vraisemblement, Louis ne quitta pas la ville et ses environs.

"De midi jusqu'à minuit, partout je fus accompagné par une interprète (de la police). Je l'ai payée au plein tarif... Elle était d'ailleurs bien gentille, elle s'appelait Nathalie, une très jolie blonde par ma foi, ardente, toute vibrante de Communisme, prosélytique à vous buter, dans les cas d'urgence... Tout à fait sérieuse d'ailleurs... allez pas penser des choses!... et surveillée! Nom de Dieu!...

"Je créchais à l'Hôtel de l'Europe, deuxième ordre, cafards, scolopendres à tous les étages... Je dis pas ça pour en faire un drame... bien sûr j'ai vu pire... mais tout de même c'était pas "nickel"... et ça coûtait rien que la chambre, en équivalence: deux cent cinquante francs par jour! Je suis parti aux Soviets, mandaté par aucun journal, aucune firme, aucun parti, aucun éditeur, aucune police, à mes clous intégralement, juste pour la curiosité."

Que vit-il à Leningrad où il débarqua sans doute peu après la mort de son ami Eugène Dabit à Sebastopol le 21 août, au cours de la tournée "officielle" qu'il avait entreprise avec Gide? La misère, les ruines, la pauvreté, la docilité résignée du peuple, la prospérité pateline des hommes d'appareil, la propagande, l'hypocrisie, l'oppression, etc. De tout cela, très bien, il allait plus tard parler à loisir. Mais concrètement?

 


 

 


 

 

 

 

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